La loi dite pour la « liberté de choisir son avenir professionnel » a depuis 2018 profondément modifié le financement et l’organisation de l’apprentissage en France. Certains aspects de la loi sont encourageants comme le fait que 15 000 jeunes en France puissent participer à des échanges européens. Mais c’est peu, et c’est surtout dû à l’impulsion de l’Europe.
Pour le reste, c’est une réforme très inquiétante qui va affecter les apprentis dans les tout prochains mois. Avant 2019, les Régions étaient en charge de financer et d’organiser l’offre de formation. Désormais, ce sont les branches professionnelles qui sont chargées de ce faire. Dans ce cadre très lâche, n’importe qui pourra créer un centre de formation d’apprentis en obtenant une autorisation préfectorale et une certification de qualité : il faut craindre le même chaos que dans la formation continue…
Là où avant la carte des formations était pensée en partenariat avec l’Education nationale, au sein de commissions dédiées*, pour offrir une pédagogie sur tout le territoire et en tenant compte des besoins locaux… maintenant deux CFA pourront côte à côte se faire concurrence. Là où avant certaines formations moins « rentables » mais nécessaires ou pleines d’avenir étaient soutenues comme dans les métiers artistiques, l’artisanat d’art ou les nouveaux métiers du développement durable, demain, rien n’est garanti. Enfin, les CFA seront financés au nombre d’apprentis et pourraient être tentés de faire de la quantité au détriment de la qualité.
Pourtant on aurait besoin d’armer notre société pour l’avenir en pensant :
- aux enjeux du changement climatique
- à la transition écologique
- à l’usage de nouveaux matériaux de construction et de fabrication
- à l’invention de nouveaux procédés
- à l’usage du numérique,
- à la transition énergétique
- …sans oublier les besoins de la société en matière de santé…
De manière éclairante, la loi de réforme ne s’est pas concentrée là-dessus.
En effet, même si l’intervention des conseils régionaux était loin d’être parfaite, l’apprentissage était en plein progrès numérique, comme en Ile de France. Au-delà, le pilotage des régions visait d’abord à donner des moyens aux apprentis et était un tiers impartial, là où demain certains risquent de voir les apprentis comme une manne financière avant d’être des jeunes (et moins jeunes) en formation avant tout.. Les conseils régionaux sont élus par les citoyens : ainsi, les citoyens avaient jusqu’ici le pouvoir de dire dans quel sens devait évoluer la formation des apprentis et donc l’économie de demain. Maintenant, ce pouvoir est rendu au marché : à des entrepreneurs de l’éducation et à des branches professionnelles plus ou moins structurées et organisées par des représentants d’intérêts particuliers. En somme, on a privatisé, centralisé, et retiré le pouvoir de co-pilotage des formations aux élus du peuple.
Et on a manqué de répondre à d’autres questions essentielles, pourtant non exhaustives :
- quel pilotage politique pour demain ? (voire plus haut)
- quelle insertion de l’apprentissage dans le paysage éducatif pour que demain, par exemple, ingénieurs, élèves apprentis et étudiants travaillent ensemble sur des projets ?
- quelle formation des tuteurs ? En Allemagne, pour accueillir un apprenti il faut passer un examen et recevoir un diplôme !
Il faut donc suivre avec beaucoup de vigilance cette réforme de l’apprentissage, qui concerne en Ile de France près de 70 000 jeunes ! Il faut aussi continuer à défendre leurs intérêts et à promouvoir des filières modernes et vertes, pour notre avenir à tous. Ce n’est pas parce qu’on a voulu dépolitiser le sujet qu’il faut accepter qu’on fasse n’importe quoi avec nos jeunes et notre avenir. Comptez sur nous !
* C’est au sein du CREFOP (Comité régional pour l’emploi, la formation et l’orientation professionnelle que s’élaborait la carte jusqu’ici en partenariat entre Régions, Etat, représentants professionnels…).